Le Figaro 3 mai 2019 – Des chênes de France pour Notre-Dame de France. Tribune de Ph Gourmain

L’incendie de Notre-Dame nous rappelle la part indispensable que constitue le patrimoine dans notre identité. L’émotion suscitée par cet événement nous invite à une réflexion de grande ampleur : quelle liberté notre époque peut-elle prendre vis-à-vis d’un tel monument ?

Quelle liberté pouvons-nous prendre vis-à-vis de nos engagements internationaux et de nos lois, comme celle de 1913 sur les monuments historiques ? Rappelons que la cathédrale est classée Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’Unesco, que la France a signé la Charte de Venise sur les monuments, et qu’elle est initiatrice et signataire de l’accord de Paris qui recommande une réduction des émissions de CO2. Cet engagement implique entre autres l’usage de matériaux « bas carbone ».

Quelle liberté pouvons-nous prendre vis-à-vis de la mémoire des architectes et du peuple bâtisseur qui a donné sa vie pendant des siècles pour édifier Notre-Dame ?

Enfin, quelle liberté pouvons-nous prendre vis-à-vis de l’héritage historique que nous laisserons aux générations futures, héritage que nous n’avons pas toujours su entretenir et sauvegarder ?

La sagesse voudrait que nous répondions collectivement à ces questions avant d’en appeler à un éventuel coup de crayon architectural.

Malheureusement, le politique nous impose une temporalité qui n’est ni celle de l’analyse des événements ni celle de la projection. Davantage habitués au « temps long » et à la discrétion, les forestiers français sont eux aussi amenés à prendre position, à rentrer dans le débat et à proposer un projet en phase avec leur raison d’être.

Nous ne pouvons pas accepter que la « forêt » de Notre-Dame de Paris, cette majestueuse charpente de plus de 800 ans, soit définitivement évacuée de nos mémoires par des projets futuristes. Propriétaires forestiers publics et privés, Office National des Forêts, experts et gestionnaires forestiers, exploitants, bûcherons, transporteurs, scieurs… affirmons aux côtés des entreprises du patrimoine que les chênes existent en quantité en France et que le savoir-faire et les compétences sont prêts à se mettre au service de cette restauration historique. Nous comprenons cependant que la flèche, signature d’une époque, puisse susciter un désir de création contemporaine. Ce n’est pas à nous d’en décider.

Nous préférons nous focaliser sur ce qui fait l’essence même de nos métiers : la charpente, que nous proposons de restaurer avec des chênes de France 

La France, premier réservoir de chêne au monde, dispose de la ressource nécessaire pour mener à bien ce projet. Depuis des décennies, les forêts françaises font l’objet d’un suivi statistique régulier par l’Inventaire Forestier National, dépendant de l’IGN.

Sur l’ensemble du territoire, le chêne couvre une surface de 3,8 millions d’hectares, pour un stock estimé à 600 millions de m3 et 1,2 milliards d’arbres ! Chaque année, ce stock s’accroit de 14 millions de m3 alors que la récolte annuelle représente moins de 50 % de cet accroissement. Pour les seules grumes (partie la plus noble de l’arbre utilisable notamment par les scieries), la récolte annuelle se situe autour de 2,2 millions de m3.

En matière d’impact écologique et de bilan carbone, difficile de faire mieux que le chêne !

Si on ne prend en compte que les chênes de diamètre de 50 cm ou plus, c’est-à-dire ceux pouvant fournir des éléments de charpente pour Notre-Dame de Paris, le stock est estimé à 250 millions de m3, soit 90 millions d’arbres environ.

Les besoins pour la restauration de Notre-Dame sont d’ores et déjà très largement couverts par les dons des propriétaires publics et privés. Ces besoins sont estimés à 2 à 3000 m3 de chênes, soit 0,1 % de la récolte annuelle. Cela représente entre 1000 et 1200 arbres tout au plus. Dès lors, difficile de parler de déforestation ou de catastrophe écologique. Libérons-nous donc de cette inquiétude, d’autant plus que le projet porté par la filière forêt-bois prévoit une collecte modeste et diffuse qui représenterait l’équivalent de 75 arbres par région administrative, ou encore un arbre exploité pour 36 communes.

Le bois est le matériau écologique du XXIème siècle. En effet, quand un chêne est prélevé, il a déjà assuré son renouvellement par des jeunes semis situés à proximité. Si ce n’est pas le cas, les forestiers replantent de jeunes arbres. C’est donc un matériau renouvelable. Ensuite, la mise en œuvre du bois est peu coûteuse en énergie et émet peu de carbone. Enfin, un arbre absorbe du CO2 et permet de stocker durablement du carbone dans les bâtiments. Aucun autre matériau n’offre des propriétés équivalentes.

Le chêne, matériau incontournable pour une restauration historique

Les sections des pièces de charpente utilisées dans les cathédrales sont assez modestes. Ceci pour une raison simple : les outils de levage de l’époque ne permettaient pas de recourir à des pièces trop lourdes. L’actuelle forêt française peut aisément fournir les débits désirés, dont les plus importants mesurent dans les 15m de long, pour une section de 40 cm par 40 cm.

Les spécialistes de la restauration de monuments et les historiens confirment que les bois utilisés pour ce type de charpente sont travaillés « en vert », c’est-à-dire qu’ils n’ont pas besoin d’être séchés. Cependant, si les services des Monuments Historiques exigeaient le recours à des bois secs pour quelques pièces particulières, il serait tout à fait possible de recourir au séchage artificiel, qui est parfaitement maitrisé par nos entreprises. Le recours au bois n’engendrera donc aucun retard dans la conduite du chantier, puisque les éléments seront sciés selon les exigences techniques des architectes des Monuments Historiques et des bureaux d’étude.

Un projet collectif et symbolique

Nous proposons de fournir gratuitement des chênes provenant de toutes les régions de France, car nous tenons à souligner le lien fort qui rattache la capitale aux régions, aux communes forestières et au monde rural. En unissant dans un même élan bâtisseur les 440 000 professionnels de la filière forêt-bois, nous donnons une âme à un matériau et un sens profond à une aventure architecturale. Enfin, nous trouverons des chênes mémoriels provenant des champs de bataille du XXème siècle. En leurs cernes, ces arbres sont les témoins de notre histoire. Ils ont toute leur place dans la future charpente.

Un chantier de restauration au pied de l’imposant édifice mettrait en valeur les entreprises du patrimoine et les compagnons. Il constituerait un spectacle en lui-même, vitrine vivante du savoir–faire français, attirant immanquablement les curieux du monde entier.

Par sa dimension collective, nationale, historique et symbolique, le projet de la filière forêt-bois fait œuvre d’art immatérielle. C’est un « projet humain, passionnément français », pour reprendre les termes du Président de la République.

Ph Gourmain, Président des Experts Forestiers de France, 

Administrateur de l’interprofession nationale France Bois Forêt et coordinateur amont du projet « France Bois ND de Paris »